LES OBJETS DE PARURE EN MATIERES DURES ANIMALES
DU PALEOLITHIQUE SUPERIEUR
DES REGIONS CANTABRIQUES (ESPAGNE)

Article publié dans L'industrie osseuse pré- et protohistorique en Europe,
approches technologiques et fonctionnelles
.
Actes du XIVeme congrès de l'Union Internationale
des Sciences Préhistoriques et Protohistoriques, Liège, Belgique.
Edition Eraul (2003). Pages 43 à 51.


» par Morgane Maudet, archéologue, préhistorienne de l'art et de la parure (Lire mon CV).

RESUME (ABSTRACT)

couverture UISPP

Les gisements paléolithiques des régions cantabriques, au nord de l’Espagne, ont livré de nombreux éléments de parure en matières dures animales. L’analyse stylistique et technologique de ces objets nous permet de discerner les caractéristiques chrono-culturelles de la parure du Paléolithique supérieur de ces régions et de percevoir des transmissions ou des échanges de modèles et de savoir-faire.

The Upper Palaeolithic’s sites from Cantabrian province, in north of Spain, delivered lots of body’s ornaments made on bone and shell materials. The stylistic and technological analysis of these allows us to discern the cultural characteristics of body’s ornaments during the Upper Palaeolithic and to observe transmissions or exchanges of models and know-how.

INTRODUCTION

Les objets de parure sont généralement des symboles d’appartenance sociale : portés sur soi, ceux-ci communiquent à l’ensemble du groupe, voire même à l’ensemble des groupes voisins, les marques de pouvoir, d’intégration culturelle, du sexe, de l’âge, du goût, de croyances, etc. Selon les traditions, ils peuvent posséder des fonctions d’apparat, de protection, de monnaie d’échange, de mémoire ou encore être dotés de valeurs personnelles. Les objets de parure sont des supports d’idées, des symboles culturels nécessitant la succession de choix et d’actes techniques, afin de représenter matériellement des concepts de l’esprit en fonction des traditions et des savoir-faire.

A partir d’observations collectées en contexte funéraire, H. Barges-Mahieu et Y. Taborin définissent l’objet de parure préhistorique comme « un objet de dimension modeste dépourvu de toute utilité pratique » doté « d’un moyen de suspension façonné : perforation, rainurage, gorge... » (Barges-Mahieu & Taborin, 1991, fiche 0). Les dents, les coquillages aménagés pour la suspension, les pendeloques aux formes et aux matériaux variés, retrouvés dans les gisements du Paléolithique supérieur, seraient donc les seuls vestiges manifestes des premiers systèmes significatifs et esthétiques de la parure. Le choix des matières premières, de la qualité du façonnage, de l’absence/présence d’un décor, du mode de suspension, etc. sont autant d’étapes révélatrices des traditions stylistiques et techniques des cultures qui ont produit ces objets ornementaux. Leur analyse nous permet donc de discerner les caractéristiques traditionnelles inhérentes à chacune des cultures du Paléolithique supérieur, mais aussi de percevoir des transmissions dans le temps ou des échanges à plus ou moins longue distance de modèles et de savoir-faire.

La côte cantabrique, au nord de l’Espagne, est très riche en gisements archéologiques et en grottes ornées paléolithiques. Cette province au contexte préhistorique important est un cadre géographique idéal pour une telle étude. En effet, les sites archéologiques cantabriques, en plus d’avoir livré un art pariétal et un art mobilier extrêmement riches, ont fourni de nombreux éléments de parure.

PRESENTATION

Cette synthèse est le résultat de l’analyse minutieuse de 107 éléments de parure divers conservés au Museo Regional de Prehistoria y Arqueologia de Cantabria à Santander (Espagne) et d’une étude bibliographique complète regroupant 497 éléments de parure répartis dans de nombreux gisements du Paléolithique supérieur des régions des Asturies, de Santander (Cantabrique) et du Pays Basque. Parmi les gisements les plus riches en parure, citons tout de même La Paloma, Tito Bustillo, Cueto de la Mina, Las Caldas dans les Asturies, Altamira, La Pasiega, El Pendo, Cueva Morìn, Rascaño à Santander et Bolinkoba au Pays Basque. (fig.1)

Les objets de ce corpus rassemblent :
1- De nombreux éléments de parure non façonnés pourvus d’un moyen de suspension : des dents, des coquillages et des fragments d’os aménagés pour la suspension;
2- Quelques éléments de parure façonnés bi-dimensionnels ou tri-dimensionnels en matière osseuse pourvus d’un moyen de suspension, c’est à dire des pendeloques plus ou moins façonnées en os, en bois de cerf et en ivoire de Proboscidien ou de Cétacé.

Ces deux grandes catégories de parure se distinguent par leur forme mais aussi par le choix des matériaux puisque nous avons, d’une part, des matériaux destinés à être portés tels quels et, d’autre part, des matériaux destinés à être façonnés. Les dents aménagées sont les éléments de parure les plus fréquents dans les différents gisements paléolithiques du nord de l’Espagne. Elles sont suivies quantitativement par les coquillages perforés. Enfin, les pendeloques plus ou moins élaborées restent, quant à elles, assez exceptionnelles. (fig.2)

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LES DENTS POURVUES D’UN MOYEN DE SUSPENSION

Les dents aménagées comme éléments de parure.

La majorité de ces dents aménagées en ornements sont des craches de cerf perforées (71% des dents du corpus présenté). Celles-ci sont courantes dans la majorité des gisements Cantabriques à toutes les périodes du Paléolithique supérieur. En revanche, les incisives de cerf et de bouquetin perforées, pourtant présentes dans de nombreux gisements tout au long du Paléolithique supérieur, restent quantitativement faibles par rapport aux craches. L’utilisation des incisives de cheval et des canines de renard comme support pour la parure est assez rare et ne concerne que des périodes de forte production de dents perforées avec une grande liberté quant au choix des formes. Les dents de bovinés, de sangliers et de requins dotées ou non d’un moyen de suspension sont très occasionnelles et ont été ramassées, elles aussi semble-t-il, durant ces périodes d’abondance. (fig.3)

En effet, lorsqu’on se penche sur l’évolution chronologique de la parure en dent, on constate qu’il existe des périodes de grande diversité par rapport à leur sélection en fonction des formes et des espèces, puis d’autres, au contraire, très monotones durant lesquelles un seul type de dent est privilégié. Ainsi, pendant l’Aurignacien évolué d’El Otero (Santander), le Solutréen supérieur, le Magdalénien inférieur et le Magdalénien supérieur final, les dents aménagées sont les plus abondantes et les plus variées. Le Magdalénien supérieur initial se distingue, en revanche, par son uniformité dans le domaine des dents perforées : celles-ci sont très peu diversifiées, excepté les craches de cerf qui restent très abondantes.

Bien que les dents sélectionnées comme ornement soient recueillies sur des animaux chassés (cerf notamment, mais aussi bouquetin des Pyrénées, cheval, bovinés, sanglier, etc.) ce ramassage ne semble pas systématique. Par exemple, la majorité des dents perforées livrées à Rascaño (Santander), station spécialisée dans la chasse au bouquetin des Pyrénées, proviennent du cerf (Gonzalez Echegaray, J., & Barandiaran, I., 1981). De surcroît, bon nombre de dents appartenant à d’autres animaux chassés n’apparaissent pas dans la parure démontrant l’existence de conventions symboliques et esthétiques très intenses, au-delà de toutes significations cynégétiques, surtout durant les périodes de grande monotonie.

Les dents sont essentiellement perforées au niveau de la racine durant tout le Paléolithique supérieur. La perforation peut se situer à l’extrémité de la racine, sur le premier tiers de sa partie distale ou en son centre. Cependant les perforations sont quelques rares fois situées au centre de la dent, entre la racine et la couronne, voire sur la couronne elle-même. Occasionnellement, les perforations peuvent être multiples comme une incisive de cheval dotée de deux perforations à la racine du niveau Magdalénien d’Emittia (Pays basque). Pour générer l’orifice de suspension, les dents subissent généralement, sur leurs deux faces, une préparation en gorge par rainurage longitudinal ou encore en cuvette par grattage/ raclage longitudinal, suivit du percement ou de l’alésage par forage semi-rotatif à l’aide d’un outil pointu de type perçoir.

L’intensité de la préparation dépend très généralement de la grosseur de la racine et de la qualité de la dent façonnée. En effet, on peut observer que les racines des incisives de boviné (fig.4 a) et des canines de grand carnivore plus épaisses, ont subi un amincissement par abrasion, un creusement par grattage/raclage longitudinal et une perforation par forage semi-rotatif. Celles des craches, larges et peu épaisses, ont fréquemment reçu une préparation en creux par grattage/raclage et un alésage de l’orifice obtenu par forage semi-rotatif (fig.4 b). Enfin, celles des dents de renard (fig.4 c) et de capriné, assez fines, ont souvent été directement perforées par forage semi-rotatif, parfois avec en préparation la confection d’une petite gorge longitudinale par rainurage. Les racines des dents décorées sont généralement perforées avec soin : la préparation est discrète et le percement de l’orifice est réalisé par forage semi-rotatif.

Il existe aussi un autre moyen de suspension très peu employé sur les dents : l’aménagement d’une gorge circulaire par rainurage. Ce dernier concerne, par exemple, la dent de squale du Solutréen supérieur d’Aizbitartre IV (Pays basque) et une canine de carnivore du Magdalénien initial de Balmori (Asturies) dont le sillon de suspension est situé à l’extrémité de la racine. (fig.5)

Les dents perforées décorées apparaissent dès la fin du Gravettien au gisement Morìn (Santander) et perdurent jusqu’au Magdalénien final, sans connaître beaucoup de variantes stylistiques. Elles représentent 12,5 % de l’ensemble des dents aménagées du corpus. Les sites les plus riches en dents décorées sont Tito Bustillo (Asturies) Rascaño (Santander) mais de manière générale, ce type de parure est réparti dans de nombreux gisements sur l’ensemble de la côte cantabrique. La grande majorité de ces dents décorées sont des craches de cerf (les trois quarts environ). Les autres sont des incisives de cerf du Gravettien de Morìn et du Magdalénien inférieur d’El Castillo (Santander), de cheval du Magdalénien moyen (douteux) d’Ermittia (Pays basque), de bovinés du Magdalénien inférieur d’Altamira (Santander), ainsi qu’une canine de carnivore du Magdalénien moyen de Cueto de la Mina (Asturies). Le choix des dents à décorer semble donc très strict puisqu’il se limite presque exclusivement aux croches.

Le décor gravé aussi est assez monotone. Il est très fréquemment constitué de deux ou plusieurs incisions courtes parallèles entre elles, généralement gravées sur la couronne et plus rarement sur le bord de la racine. Parfois ces incisions parallèles contournent la dent (fig.6). Ce type d’agrément en incisions parallèles représente la plus grande partie (83,3 %) de l’ensemble des décors gravés sur dents perforées et ne concerne quasiment que les croches de cerf.

Il existe cependant des décors plus originaux tels que la double flèche d’une dent de boviné d’Altamira (Santander), les incisions convergentes d’une incisive de cerf du Castillo (Santander), ainsi que le décor radial d’une dent du Magdalénien supérieur initial de Tito Bustillo (Asturies).

L’aspect très conventionnel de ces décors gravés semble mettre en évidence l’importance de la signification de ces dernières durant le Paléolithique supérieur. Ces incisions parallèles, que l’on retrouve aussi sur d’autres types de pendeloques, devaient avoir un sens symbolique et/ou une valeur esthétique particulier pour les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur. Ces constatations renforcent aussi l’idée d’une signification très profonde de la croche de cerf, dent la plus souvent gravée.

3 : Proportion de chaque espèce animale dont les dents sont utilisées dans la parure au cours du Paléolithique supérieur cantabrique.

5 : Canine de carnivore du Magdalénien initial de Balmori (Asturies). (D’après Corchòn Soledad R.M., 1986).

4 (de gauche à droite) : a-Racine d’une incisive supérieure de boviné du Magdalénien inférieur d’El Castillo (Santander); b-Crache de cerf de l’Aurignacien d’El Otero (Santander); c-Canine de renard du Magdalénien de La Chora (Santander). Cliché Morgane Maudet ©.

6 : Crache de cerf décoré du Magdalénien de Cueva Morìn (Santander). Cliché Morgane Maudet ©

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LES COQUILLAGES POURVUS D’UN MOYEN DE SUSPENSION

Les coquillages aménagés comme éléments de parure.

Les coquillages perforés sont assez nombreux dans la parure Cantabre puisqu’ils représentent 41% de l’ensemble des éléments de parure du corpus. La Littorina Obtusata L., essentiellement, gastéropode plus couramment dénommé «bigorneau » concerne un peu moins du quart de l’ensemble des parures. Sa forme arrondie et la variété de ses coloris ont probablement attiré l’attention des hommes du Paléolithique supérieur cantabre. Ce gastéropode est utilisé dès l’Aurignacien typique à Cueto de la Mina (Asturies). D’autres gastéropodes sont assez courants : des Trivia, des Nassa, des Turritella, quelques Littorina Littorea L. et de rares Patelles. Les lamellibranches (bivalves), en revanche, sont très rares, citons tout de même les valves de Pecten du Solutréen de Cueto de la Mina et du Magdalénien inférieur incertain d’Altamira (Santander), celles des Pectunculus du Solutréen supérieur d’Ermittia (Pays basque) et de Cueto de la Mina (Asturies) ainsi que celle du Cardium du Gravettien de Morìn (Santander). Il est important de noter que des espèces fossiles ont été ramassées par les hommes préhistoriques de Cueva Morín : un fossile d’ammonite et un fossile de brachiopode.

De manière générale, on constate que les coquillages choisis dans la parure sont différents des coquillages ramassés pour la consommation. Les coquillages perforés sont très spécifiques et leur sélection reste monotone durant tout le Paléolithique supérieur : ils ont probablement été sélectionnés pour leurs formes, leurs couleurs, peut-être même leur texture, mais aussi, semble-t-il, pour des impératifs culturels. A Cueva Morìn (Santander), par exemple, de nombreuses espèces de coquillages ont été répertoriées. Parmi ces dernières, seuls les uniques exemplaires de Littorina obtusata L. et de Nassa reticulata ont été perforés, ainsi qu’une valve de Cardium, mettant en évidence l’existence d’une sélection très restreinte des coquillages destinés à la parure d’après B. Madriaga (Gonzalez Echegaray, J., & Freeman, L. G., 1971, p.408). La récurrence des espèces destinées à la parure et la distinction entre celles-ci et les espèces consommées mettent en évidence le caractère très conventionnel de ce type d’ornement.

Les gastéropodes en forme « d’escargot » ou de « cône » sont perforés au bord du labre (emplacement E1-E2, selon Y.Taborin, 1993) ou, pour les littorines plus particulièrement, sous l’ouverture naturelle (E3, Y.Taborin, 1993). Ceux en forme de « grain de café » tels que les Trivia europea et les Cyprea sont pourvues de deux perforations sur la coquille (emplacement T1-T2,Y.Taborin, 1993). Les lamellibranches semblent généralement percés au niveau de leur charnière dorsale comme les valves du Pecten d’Altamira (Santander), ainsi que celles de Pectunculus du Solutréen supérieur de Cueto de la Mina (Asturies) et d’Ermittia (Pays basque).

Sur les gastéropodes, les techniques de perforation sont beaucoup moins diversifiées que pour les dents, peut-être parce que les espèces représentées dans le corpus ne sont pas aussi variées. Pour ouvrir l’orifice de suspension en E1, E2, T1 et T2 (fig.7 a), la technique la plus couramment employée est la percussion posée précédée d’une préparation consistant à graver une ou plusieurs incisions afin de délimiter l’orifice et caler l’outil. Pour les turritelles cependant, la préparation est très souvent une abrasion localisée suivie d’un percement par percussion posée. Le forage semi-rotatif est bien représenté, mais reste tout de même peu fréquent par rapport à la percussion. En E3 (fig.7 b), emplacement fréquemment choisi sur les Littorines, l’orifice est perforé directement par abrasion. Cet emplacement fut probablement élu afin de coudre ces gastéropodes (sur un vêtement, un bandeau, etc.) de telle sorte que l’apex ("pointe" du gastéropode) soit visible. L’abrasion, en plus d’être une technique facile à réaliser provoque un aplatissement de la surface convexe de ce coquillage sous l’ouverture naturelle qui facilite la stabilité de ce dernier contre le support sur lequel il est cousu.

7 (de gauche à droite) : Trivia perforée en T1-T2 (a) et Littorina obtusata L. perforée en E3 (b) du Magdalénien de Tito Bustillo (Asturies). Cliché Morgane Maudet ©

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LES ELEMENTS DE PARURE FACONNEES "SIMPLES"

Les pendeloques bi-dimensionnelles façonnées :
Ces pendeloques plates en matières osseuses sont assez peu nombreuses dans le corpus. Aussi leur quantité relativement faible pour tout le Paléolithique de la région Cantabrique ne nous permet pas d’établir d’hypothèses précises sur ce genre d’objet, néanmoins, leur étude nous donne la possibilité d’effectuer quelques constatations...

La quasi-totalité de ces pendeloques a été façonnée dans de l’os. L’ivoire de Proboscidien ou de Cétacé a quelques fois été utilisé comme pour la pendeloque rectangulaire du Solutréen supérieur de Las Caldas (Asturies) et la pendeloque ovale (en ivoire de cachalot) du Magdalénien moyen du même gisement. Le bois de cervidé est très peu employé pour confectionner ce type d’ornement.

Ce type de parure présente couramment des faces rectangulaires plus ou moins allongées aux coins arrondis ou, souvent, des faces ovales allongées. La formes circulaires (rondelle du Magdalénien moyen de La Viña –Asturies) et fusiformes sont rares. Les formes triangulaires ou polygonales sont absentes du corpus étudié, cela est peut-être lié à des interdits d’ordre conventionnel, à moins que ce ne soit un état de la recherche. Il faut tout de même noter que la rondelle du Magdalénien de La Viña est la seule de notre corpus pour tout le Paléolithique supérieur de la région Cantabrique.

La perforation est le moyen de suspension le plus courant. L'orifice est unique (aucune de ces parures n'est pourvue de deux orifices excepté une pendeloque en os du Magdalénien supérieur final de Sovilla- Santander), et se situe généralement à l'extrémité proximale de l'objet. La perforation est centrale sur la rondelle de La Viña comme sur les rondelles des gisements pyrénéens de la même époque. Comme pour les dents, la qualité de la perforation dépend, d’une part, de l’épaisseur et de la largeur de l’extrémité proximale du pendentif et d’autre part, de la finition de ce dernier. Soit l’orifice de suspension est percé directement par forage semi-rotatif, soit celui-ci est précédé d’une préparation en gorge par rainurage ou par grattage, sur les deux faces.

Parmi ces pendeloques, il n'existe qu'un seul exemplaire ayant un sillon annulaire de suspension à son extrémité : une pendeloque fusiforme en bois de cervidé du Magdalénien moyen de La Paloma (Asturies).

Quasiment toutes ces pendeloques sont décorées de motifs gravés. Le décor le plus employé pour ce genre d’objet est, comme pour les dents, l’agrément composé d’incisions courtes parallèles entre elles et perpendiculaires aux bords de l’objet. Ce décor connaît plusieurs variantes : incisions régulières contournant les bords de la pendeloque en lui donnant un aspect dentelé, très courantes, ou incisions irrégulières plus légères contournant les bords de la pendeloque. Alors que sur les dents ce décor est récurent durant tout le Paléolithique supérieur, il correspond d’avantage, pour ces pendeloques, aux périodes de l’Aurignacien, du Gravettien et du Solutréen supérieur.

D’autres pendeloques sont gravées de bandes parallèles longitudinales composées de trois ou quatre sillons parallèles auxquels sont adossés des ponctuations (fig.8). Ce décor est typique de la fin du Magdalénien et du début de l’Azilien.

Les décors animaliers, exceptionnels, sont généralement stylisés (fig.9) ou parfois naturalistes, comme la pendeloque en ivoire de Cétacé du Magdalénien moyen de Las Caldas (Asturies) représentant un bison sur une face et un mammifère marin, probablement un cachalot, sur l’autre. Les pendeloques comportant ce type de décor sont assez grandes (7 cm pour la pendeloque de Las Caldas à plus de 19 cm pour celle du Magdalénien inférieur de Balmori- Asturies) et sont caractéristiques du Magdalénien.

La rondelle du Magdalénien moyen de La Viña (Asturies), quant à elle, est ornée d’un décor radial et d’un signe en «flèche empennée ». Comme le constate I. Barandiaran, ce décor est caractéristique de nombreux objets en os, des rondelles entre autres, des gisements pyrénéens du Mas-d’Azil et d’Isturitz, (Barandiaran, I., 1968).

8 : Pendeloque décorée de l’Azilien d’El Piélago (Santander). Cliché Morgane Maudet ©

9 : Fragment de pendeloque en os gravé d’un décor animalier stylisé provenant du Magdalénien supérieur final d’El Pendo (Santander). Cliché Morgane Maudet ©

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LES ELEMENTS DE PARURE SCULPTES "COMPLEXES"

Les pendeloques tri-dimensionnelles sculptées : Ce type de parure ouvragée est très occasionnel. Parmi ces pendeloques on trouve trois grandes catégories :
- Les pendeloques oblongues.
- Les contours découpés.
- Les imitations.

Les pendeloques oblongues sont toutes confectionnées dans du bois de cervidé. Cependant, elles se distinguent par leur forme et leurs décors :

- Les pendeloques du Solutréen supérieur d’El Pendo (Santander, fig. 11) et du Magdalénien supérieur de Tito Bustillo (Asturies) sont assez semblables avec leur large orifice, leur section ovale et leur forme plutôt anthropomorphe rappelant vaguement une silhouette féminine. Ces deux pendeloques surnommées « Vénus » sont gravées de petites stries, mais il est difficile de savoir s’il s’agit d’un décor ou de marques intentionnelles.

- Les deux autres pendeloques oblongues du Magdalénien supérieur final d’El Pendo sont un pendentif en forme de « carotte » dont la perforation est aménagée sur une petite « tête » et un pendentif cylindrique très décoré (fig. 10). Ce dernier est gravé de nombreux signes tels que des « serpentiformes », des bandes d’angles emboutis, des zigzags, des croix et des ponctuations. Son extrémité distale sculptée en forme de « queue de poisson », donne à l’ensemble de cet ornement une forme stylisée de poisson dont la perforation serait l’œil.

Les trois exemplaires de La Viña proviennent du Magdalénien moyen et représentent des têtes de chevaux assez naturalistes. L’un d’eux, effectué sur un os hyoïde de cheval, est perforé, de chaque côté, au niveau du naseau de l’animal et a donc peut-être été utilisé comme ornement corporel. Il mesure 52 mm de longueur, 24 mm de largeur et 4 mm d’épaisseur. Le profil de la tête du cheval a été découpé dans l’os, mais les détails tels que les oreilles, le naseau, la bouche, les yeux (avec l’arcade sourcilière sur un des côtés) et les poils sont suggérés par des incisions profondes plus ou moins courtes. L’os fronto-nasal de l’animal est souligné sur les deux faces par un sillon gravé longitudinal (bordé de tirets sur une des faces). La narine du cheval a été percée de chaque côté de ce contour découpé par forage semi-rotatif probablement comme en témoigne la perforation circulaire en entonnoir sur les deux faces. Un autre de ces contours découpés en os est moins bien conservé. Il représente aussi un cheval de profil, doté de détails tels que les yeux, la bouche, les oreilles, ainsi que des groupes de 3 à 5 incisions oblico-parallèles.

L’exemplaire de Tito Bustillo appartient au Magdalénien supérieur et représente une tête de bouquetin naturaliste perforée au niveau des oreilles. La bouche et les narines sont gravées. Des incisions courtes transversales au bord supérieur de la corne représentent les anneaux visibles sur les cornes de l’animal modèle. Les yeux sont symbolisés par des trous circulaires, en entonnoir sur une face et cylindrique sur l’autre. Ce contour découpé mesure plus de 60 mm de longueur, 25 mm de largeur et 10 mm d’épaisseur (environ). L’oreille pointue est perforée de chaque côté du contour découpé.

Ces contours découpés sont donc des objets uniques dans la parure du Paléolithique supérieur des régions étudiées tout comme la rondelle du Magdalénien moyen de La Viña, alors que de semblables objets sont fréquents dans les gisements pyrénéens des mêmes périodes. On peut donc émettre l’hypothèse d’un échange ou d’une possible rencontre entre des magdaléniens asturiens et des magdaléniens pyrénéens. A ce propos, il est intéressant de noter que ces objets ont été livrés non pas par des gisements proches des Pyrénées, mais au contraire, par des gisements assez éloignés, puisque La Viña et Tito Bustillo sont localisés sur la côte asturienne, à l’ouest de la zone cantabrique.

Peu d’exemplaires d’imitation de dents ou de coquillages ont été mis à jour dans les gisements Cantabriques. Citons tout de même les pendeloques en forme de crache d’El Pendo dont l’une est sculptée dans de la stéatite (Aurignacien, fig.12) et l’autre, confectionnée dans du bois de cervidé (Magdalénien supérieur). La présence de fac-similés imitant la parure en crache de cerf montre, une fois de plus, l’importance significative de cette dernière dans les cultures cantabres du Paléolithique supérieur, plus particulièrement à El Pendo.

10 : Pendeloque en bois de cervidé décorée du Magdalénien supérieur final d’El Pendo (Santander). Cliché Morgane Maudet ©

11 : Pendeloque de forme "anthropomorphe" du Solutréen supérieur d’El Pendo (Santander). Cliché Morgane Maudet ©

12 : Pendeloque en stéatite dont la forme évoque un crache de cerf provenant de l’Aurignacien typique d’El Pendo (Santander). Cliché Morgane Maudet ©

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CONCLUSION

Les artisans cantabres du Paléolithique supérieur ont parfaitement su utiliser les techniques adaptées aux différents supports choisis selon leur propriété, leur épaisseur et leur qualité, afin que le moyen de suspension, la perforation généralement, convienne à l’utilisation désirée. On constate que les éléments de parure nécessitant le moins d’actes techniques sont les plus courants : les dents et les coquillages dont seul le moyen de suspension doit être façonné, sont beaucoup plus fréquents que les pendeloques ouvragées.

Les dents et les coquillages aménagés comme objets de parure sont, comme nous l’avons vu, des éléments très abondants, plus particulièrement la crache de cerf et la littorine. Aussi, cette catégorie d’objet semble appartenir à une parure plus commune très conventionnelle. En effet, la récurrence des formes choisies et la sélection rigoureuse des espèces, dont les dents sont prélevées, et des espèces de coquillage, laisse transparaître l’existence de coutume symbolique très ancrée tout au long du Paléolithique supérieur cantabrique. Cette « coutume » parait même perdurer durant les périodes de plus grande « liberté » puisque les espèces dont les matières dures sont prélevées restent tout de même très réduites. La crache de cerf s’inscrit, quand à elle, dans une tradition préhistorique à l’échelle européenne puisqu’on la retrouve en France, en Italie, en Belgique, etc. Cette volonté de choisir un élément préformé naturellement nous laisse percevoir, d’une part, l’existence d’une idéologie basée sur les rapports entre l’homme et son environnement naturel. D’autre part, elle révèle une certaine conception de l’esthétisme de ces sociétés du Paléolithique supérieur si l’on considère la forme et le lustre des craches ainsi que la variété des coloris, du galbe et des surfaces des coquillages. L’importance de l’intérêt porté à ce type d’ornement est confirmée par l’existence d’imitations réalisées dans des matériaux différents.

Les pendeloques façonnées et sculptées sont très rares, au contraire. Pour confectionner ces objets divers, l’os est le matériau le plus exploité. Son acquisition est très simple puisqu’il suffit de se servir parmi les restes de faune chassée. Il est possible que la facilité d’acquisition de cette matière première aie enclin les artisans préhistoriques à choisir ce matériau. En revanche, le bois de cervidé est beaucoup moins employé, pourtant les hommes du Paléolithique supérieur l’ont largement exploité dans le domaine de l’industrie osseuse. Le bois de cervidé a surtout été employé pour effectuer les rares pendeloques sculptées. L’ivoire, quant à lui, ne fut qu’exceptionnellement utilisé. La rareté de ce matériau dans la parure est peut-être à mettre en relation avec les difficultés d’approvisionnement ainsi qu’aux difficultés liées à son débitage. Comme pour les dents et les coquillages, la récurrence ou, au contraire, l’absence de certaines formes traduisent une fois de plus l’aspect conventionnel de la parure préhistorique.

L’analyse des décors gravés ou sculptés sur ces objets nous permet d’observer des distinctions chrono-culturelles comme, par exemple, l’agrément constitué de bandes ponctuées du Magdalénien supérieur final/Azilien, des invariables tels que les décors en incisions courtes parallèles entre elles que l’on retrouve durant tout le Paléolithique supérieur cantabrique sur les craches et quelques pendeloques, ainsi que des transmissions de modèles comme les contours découpés et la rondelle des Asturies typique des parures pyrénéennes de la même époque.

L’étude de la parure du Paléolithique supérieur cantabrique, présentée dans cette synthèse, nous permet de saisir l’existence de traditions symboliques ou esthétiques et de souligner la présence de relations entre les sociétés du Paléolithique supérieur cantabrique et pyrénén. Il sera donc intéressant d’élargir la cadre de cette étude aux sites pyrénéens afin d’établir une comparaison stylistique et technologique de l’ensemble des objets de parure du Magdalénien des Cantabres et des Pyrénées.

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BIBLIOGRAPHIE

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